Les elfes. Dans ce monde comme dans le nôtre, les elfes sont arrogants, ultra conservateurs et terriblement xénophobes, tout ce qui ne sert pas la cause que nous tentons de défendre depuis que nous sommes emprisonnés dans d'autres corps. Eux aussi, il faut que nous réussissions à les rallier à notre cause, et eux aussi, il faut maintenant qu'ils acceptent le fait que nous faisons maintenant intégralement partis de ce monde. les négociations jusqu'ici avancent mal, même pas du tout. Le couple royal est fort distant et a refusé jusqu'alors toutes nos demandes d'audience, considérant que nous ne sommes ni des homonymes souverains, ni les bienvenus tout court. a leurs yeux, nous serions plutôt comme des "envahisseurs".

Heureusement, je viens de trouver de quoi les faire changer d'avis, et peut-être nous autoriseront-ils à les rencontrer cette fois ? Je me trouve encore  dans les Terres du Lotus, prêt à rentrer vers Midgard quand je tombe sur une étrange affichette, qui aiguise mes neurones immédiatement. J'arrache cette jolie petite annonce royale de l'écorce d'un arbre et la lit, la relit en long en large et en travers, mes yeux s'arrondissant un peu plus à chaque fois que mon cerveau enregistre, détaille et analyse les mots inscrits sur le papier : la voilà notre occasion d'amadouer le duo elfique une bonne fois pour toutes ! Bon d'accord tuer une Hydre n'est pas aussi facile que d'aller chasser le sanglier, mais la récompense est trop belle pour que je laisse passer l'occasion qui se présente, alors que nous nous sommes donnés tant de peine pour chercher une issue au refus catégoriques d'entrer en discussion avec les elfes. La tâche est quand même ardue mais des décourager plus de postulants. Et puis deux mille pièces d'or, ça ne se refuse pas quand on essaie de construire une ville !

J'ai toutes les chances d'ailleurs d'être le seul à vouloir les écailles de cet animal, et je connais quelques mages de notre guilde qui seront ravis de récupérer les quelques ingrédients qui manquent cruellement sur le marché. Pas facile de trouver des écailles ou du venin d'Hydre ces temps-ci, et il parait que la langue séchée et la viande sont succulentes.

J'installe donc mon campement dans une clairière au milieu d'un petit bois surplombant la zone marécageuse, je sens déjà les vapeurs de l'eau stagnante. la zone est immense, boisée, la flore sauvage et impénétrable, du moins pour une monture en armure. Le cheval que j'ai loué restera ici le temps que je m'occupe du monstre. Il faudra que je m'en achète une d'ailleurs, les bons d'écurie reviennent chers à la longue... C'est donc à pied que je vais m'aventurer là-dedans. Un sabre elfique achet... récupéré sur un boss de donjon il y a quelques mois maintenant, je ne sais plus où, une armure lourde, un bouclier résistant, et des bottes de voyage achetées exprès, qui permettent de ne pas s'enfoncer dans la vase. Face au brouillard et à la puissante odeur de moisissure humide, je suis fin prêt.

Je repense une dernière fois aux récits que j'ai entendu, de plus en plus nombreux au fur et à mesure que je me rapprochais de la région. j'ai déjà affronté des monstres puissants seuls mais... Aucun n'avait plusieurs têtes ! Je n'ai pas de plan particulier si ce n'est de ne surtout pas couper les têtes ! Si je m'en réfère aux contes et légendes de chez moi, elles finissent toujours par repousser plus nombreuses !

L'oeil perçant et l'ouïe affûtée, j'avance lentement, prélevant au passage quelques indices de l'éventuel passage de cette fameuse Hydre. Un bourdonnement me vient rapidement, je n'y prête pas attention au début et me contente de chasser la nuée de moustiques qui m'assaillent à la recherche de sang frais. Mais au bout de quelques minutes, ils sont une centaine et me pompent l'air, je m'énerve, je les éclate entre mes mains, je jure comme un charretier et finis, à bout de nerfs par les enflammer un à un... Je lance à travers les marécages des minis boules de feu, dont certaines touchent les insectes en plein vol, qui s'enflamment en un grésillement macabre.

"SALOPERIES DE MOUSTIQUES !!! Prends-ça toi, et toi aussi... Tiens mange !..."

Pris par ma folie destructrice et incendiaire, je ne me rends même pas compte que je ne suis plus seul... Il y a dans l'air, comme une odeur de cochon grillé quand je me calme enfin, et que je retrouve mon calme olympien.

"Oh ce que c'est bon, ça soulage de péter un câble !"

Spoiler:

Je suis décidément au meilleur de ma forme physique en ce moment, et pour fêter ce constat, je décide de faire mon entrée dans ce monde putride, en grandes pompes et avec fanfare. Dès le début de ma route je subis l'assaut de centaines de mini-vampires qui ont bien l'intention de se repaître sur mon corps boursouflé. Mais moi vivant, il n'en est absolument pas question ! Je ne servirai pas de casse-dalle à des moustiques ! Si je dois mourir ici, ce sera sous les crocs ou les pattes du monstre que je suis venu chasser, pas de cette façon !

Je l'avoue, le premiers bourdonnement et les première piqûres m'ont fait sortir de mes gonds. En même temps je suis tout seul et j'ai bien le droit de m'amuser un peu, et relâcher la pression accumulée par ces dernières semaines de négociation acharnée. Je ne suis qu'un apprenti diplomate moi, et je n'ai pas l'habitude de parlementer autant dans ma vie réelle. Mon quotidien professionnel se résume à trois concepts : consignes aux élèves, exécutions, punitions pour les récalcitrants. Il fallait bien que ça arrive un jour ou l'autre, moi qui est du me montrer fort et prendre des décisions drastiques pour assurer la sécurité des autres joueurs, j'ai aussi droit à mon pétage de plombs... Ben le voilà, c'est l'heure.

Ca me défoule de les allumer, vous ne pouvez même pas imaginer à quel point c'est jouissif de dégommer les insectes alors qu'ils ne pensent qu'à vous aspirer le sang : ils ne s'enfuient même pas ! Une fois mon méfait accompli, il reste dans l'air des fumerolles nauséabondes, des restes de braises et des confettis calcinés. Je suis bien en plus, au calme, seul...

"Espérons que tu feras mieux contre le monstre… tu es seul ?"

Cette phrase me fait aussitôt choir de mon petit nuage, et je mets quelques secondes à comprendre ce qu'il se passe. Encore incrédule, je me retourne vers l'origine de la voix, cherchant dans la boue l'homme qui vient de m'adresser la parole. Uns silhouette immense, noire, énigmatique me fait face. J'aperçois dans son dos la lame gigantesque d'une claymore, qui me paraît totalement démesurée. Quel homme normalement constitué peut soulever et se battre avec cette chose ? j'en oublie parfois que je suis dans un jeu vidéo, où une fillette chétive peut aisément manipuler des armes deux fois plus grosses qu'elle.

Je suis complètement gêné que quelqu'un ait pu me voir à l'oeuvre et me met à ricaner presque bêtement en frottant ma main contre mon casque, comme si je me grattais la tête. C'est bien ma veine ! Je suis dans ce qui semble être le trou du cul de nulle part, lieu maudit que tout le monde fuit par peur de croiser le monstre, et je me retrouve face à un autre participant...

"Ah, Hummm. Oui, je suis seul, enfin... Je l'étais jusque là. Ryan O'Malley. C'est mon nom et..."

Je regarde autour de moi le spectacle navrant que j'ai présenté à mon interlocuteur, qui doit me prendre pour un taré. J'écrase machinalement les insectes qui n'ont pas complètement succombé du bout de ma botte, comme pour en faire disparaître les traces.

"Désolé pour tout ça. Je crois que j'ai légèrement perdu le contrôle. Mais heu... On a tous droit à un moment d'égarement avec ce qu'on vit non ? Le monstre, oui... Je suis ici pour le monstre. Et à ce qu'il semble, je ne suis pas le seul... Mais j'imagine que c'est aussi bien, on aura plus de chance de la trouver de cette façon. Tu en as déjà affronté ?"

Je dois bien me rendre à l'évidence, je ne suis pas le seul intéressé par le monstre et la coquette somme qui accompagne son trépas, même si encore une fois, je viens plus y chercher du prestige et de quoi redorer le blason des aventuriers. Toutefois, je ne crache pas dans la soupe, et la récompense me semble plus que raisonnable, vu le la bataille qui nous attend, si jamais on trouve cette satanée bestiole. Je détaille un peu plus l'armoire à glace devant moi, dont l'armure noire et complexe, ne laisse passer aucun morceau de chair, pas même son casque : ce doit être compliqué de respirer normalement la dedans ! Il me fait un peu pense à Dark Vador, et cela me fait sourire, le célèbre "je suis ton père" me vient immédiatement en tête. Je chasse tant bien que mal cette image de ma tête, et me re-concentre sur la mission suicide.

Au moins, l'autre chasseur me semble plutôt amical, et à l'air d'apprécier lui aussi de ne pas devoir se mesurer à l'hydre tout seul, c'est une bonne chose. Vu nos deux statures, je commence à croire que nous avons peut-être notre chance. Sa conversation est entièrement dirigée sur notre monstre, et vu les questions qu'ils me posent, j'en conclue que malheureusement, il est aussi novice que moi face à la créature légendaire. Nous nous mettons en route au final, et essayons d'en apprendre plus l'un sur l'autre.

"Et bien, si tu veux du terrible et de l'action, tu ne seras pas déçu ! Qu'est ce que je pourrai bien t'apprendre sur le monstre ?... J'en ai encore jamais affronté moi-même, mais comme tout le monde j'ai entendu des rumeurs et des légendes à leur sujet."

Je repense aussitôt aux livres d'histoire et de contes qui me faisaient rêver quand j'étais petit et que je me passionnais pour la mythologie grecque et celtique. Une chose est sûre, seuls les héros parvenaient à les tuer. Je jette un oeil à mon voisin, me demandant si nous avions l'étoffe des héros, et c'est là que je remarque que son nom n'apparaît pas flottant au dessus de lui, comme cela se fait la plupart du temps. Etrange...

"Tout ce que je sais, c'est qu'elles vivent dans l'eau ou dans des grottes, hautes comme un immeuble de quatre étages au moins. Elles ont en principe de deux à sept têtes plantées au bout de longs cous, et chacune est munie de dents acérées. Je ne sais plus si elle crachent du poison ou si elles inoculent un venin... Elle sont solitaires, ce qui est plutôt une bonne chose... Mais le plus important, c'est qu'on ne doit pas couper leurs têtes, jamais sans cautériser les blessures, parce qu'il en repousse deux où tu n'en as coupé qu'une seule."

Je replonge dans mes souvenirs pour essayer de récupérer d'autres informations sorties de mes bouquins, mais rien ne me revient sur le moment. Nous avançons lentement dans la boue, juste parce que me tiens à son rythme. Je suis content de mon investissement dans mes bottes de marais, car je suis aussi à l'aise que si j'avais des pantoufles, je marche normalement sans avoir le pied qui colle, ou qui s'enfonce dans la vase. Au bout d'un moment, une nouvelle nuée de moustiques se rue sur nous, mais je ne vais pas faire l'idiot deux fois, j'ai mon image à entretenir !

C'est là que mon associé du jour, me dévoile son nom, qui me scotche dans les belles bottes, et me pose une question qui me fait venir un rire franc.

"Saprobion, le champion d'arène, l'entraîneur des plus grands combattants ?" Dis-je en ne cachant même pas ma stupéfaction. "C'est un honneur pour moi de te rencontrer, j'ai tellement entendu parler de toi ! Tu es une grande référence pour tous les aventuriers ! Moi je ne suis pas mage, je suis un tank, j'encaisse les coups et attire sur moi l'attention des ennemis, pour que les autres guerriers puissent porter leur coups. Quant à mon pouvoir, je l'ai juste choisi à mon inscription, et toi quel est ton pouvoir, et comment tu en es arrivé à devenir instructeur d'arène ?"

En plus des moustiques, voici qu'arrive un nuage de brume et la chape d'humidité fait stagner l'odeur de décomposition des végétaux, l'air devient irrespirable et écoeurant. L'atmosphère est de plus en plus lourde et glauque. est ce que nous approcherions déjà de notre but ?

A mesure que les deux aventuriers s'enfoncent dans le marais, l'odeur nauséabonde devient de plus en plus prenante et intense, le brouillard lui aussi s'épaissit, ralentissant la progression des deux hommes, obligés de redoubler de prudence pour rester le plus possible sur la terre plus dure. Ils débouchent soudainement sur ce qui ressemble à une clairière, trouée végétale moins humide que le reste du marécage.

Au loin, une forme fantomatique se dessine, d'abord confuse, les deux aventuriers s'approchent en redoublant de prudence... Une gigantesque peau écailleuse, vide de tout occupant s'allonge, serpente au milieu des rochers, et des buissons éparses. Ils reconnaissent une mue encore brillante, intacte et humide. Alors qu'ils sont en pleine contemplation de l'horrible découverte, un craquement se fait entendre sur leur gauche... Une masse à fourrure se repaissant de restes visqueux, redresse sa lourde tête, flairant l'odeur de la chair fraîche...

Les babines encore pleine s de sang, l'animal s'approche en décrivant des cercles, montrant ses crocs, il évalue votre valeur énergétique et vos points faibles, avant de passer à l'attaque

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HJ :

- Fauve de type "panthère noire" aux dimensions extraordinaires, 1m50 au  garrot, pesant 1/2 tonne, une tête 2 fois 1/2 plus grosse que celle d'un homme
- Force = 8 point de vie (il vous faudra 8 coups réussis pour la tuer)
- Pouvoir : aucun
- Pour chaque coup que vous lui donnerez ou chaque tentative de défense, vous jetterez une Rune du destin et écrirez votre RP en fonction du résultat.
- Vous pouvez aussi tenter la fuite.
- Bonne chance !

A mesure que nous avançons dans la brume et l'humidité du marécage, le voile de nuage s'épaissit, les forçant à ralentir malgré eux, tout en continuant de se poser des questions mutuellement. La remarque du guerrier me fait sourire. Il est vrai que dans la plupart des jeux, les tanks optent plutôt pour une magie régénératrice, qui leur permet de récupérer plus vite leur santé. C'est ce qu'on m'avait expliqué après coup, et il était trop tard pour changer ce trait là de mon personnage. Other Side Online est le premier jeu vidéo de ce genre auquel je n'ai jamais joué, et Ryan mon tout premier personnage. Comme beaucoup de novices, j'ai donc commis l'erreur de vouloir prendre une faculté cool, plutôt que pratique. Bien entendu, je ne vais pas lui avouer que j'ai juste été un gros Noob sur ce coup-là.

"On me fait souvent la même remarque que toi, mais je n'aime pas me couler dans un moule, je préfère de loin tester de nouvelles choses et ne pas me reposer sur mes lauriers. Je suis un compétiteur qui aime se lancer de nouveaux défis chaque jour, en plus j'aime assez l'idée de me dire que je suis un mélange unique."

Nos pas finissent par nous amener dans une sorte de clairière, au milieu de laquelle apparaît une étrange forme blanchâtre. Je ne perds pas un instant et passe mon bras par dessus mon épaule pour empoigner mon bouclier, mon autre main venant aussitôt sortir la lame elfique de son fourreau. Est-ce l'hydre ? Mon sang se fige dans mes veines, et mon souffle se relâche de soulagement en découvrant que l'objet est en fait la mue gigantesque d'un serpent.

Mon soulagement est de courte durée car un bruit à leur gauche, et je vois avec horreur une tête noire et velue se redresser, les babines encore maculées de sang, des yeux au reflet jaune se fixant sur nous avec envie. Une panthère noire, haute comme un cheval se redresse complètement et je vois sa musculature se ramasser, puis se détendre vers mon compagnon. La bête attaque !

Je n'ai pas le temps de réagir que Saprobion s'est déjà jeté sur la bête, son immense épée levée s'abattant de toutes ses forces pour arrêter le saut du monstrueux félin. Ni l'un, ni l'autre ne réussit à toucher son adversaire fort heureusement. La claymore découpe l'air et laisse une marque dans la mousse et le lichen. Il se redresse aussitôt, son arme à nouveau prête à servir.

La panthère quant à elle, finit sa course un peu plus loin, ses énormes pattes griffues accrochées dans la terre pour mieux contrôler sa chute. Dans un feulement de colère, elle se retourne aussitôt et toise Saprobion d'un air de défi, jetant son dévolu sur cet adversaire là. Je lis dans son regard qu'elle veut entendre craquer ses os entre ses crocs. Ses muscles se tendent à nouveau pour fondre sur son adversaire, mais il n'est pas question que je la laisse mener la danse !

Prenant appui de tous mes muscles dans le sol boueux, me servant de mon bouclier comme d'un bélier, je me lance moi aussi à l'assaut du fauve, cherchant à le frapper de toutes mes forces pour le déséquilibrer et le mettre à terre. Hélas même si mes bottes me rendent bien plus mobile que Saprobion, le sol collant, me fait presque trébucher et c'est un miracle si je parviens à rester debout. Mon bouclier frappe le vide, et j'enrage de ne pas avoir pu mener à bien ma technique préférée.

Contre toute attente, ma malencontreuse tentative a quand même le mérite d'avoir rompu le lien visuel entre la bête et Saprobion, et le métal poli de mon bouclier semble avoir détourné l'attention de l'immense félin, qui suit ma glissade de ses fentes nerveuses. Les babines retroussées, et les oreilles en arrière, la panthère me scrute comme si elle remarquait seulement ma présence. JE dois profiter de cette ouverture.

Je lui fais face et fléchis les genoux pour mieux m'ancrer au sol. ne quittant pas le monstre des yeux, je donne quelques grands coups de sabre sur mon bouclier pour attirer encore plus son attention, faisant retentir une batterie de casseroles au milieu de la moiteur jusque là silencieuse.

"PAR ICI SALE BETE ! JE SUIS LA !"

Est-ce nos armures lourdes qui nous empêchent de nous déplacer normalement, ou avons-nous simplement présumé de nos forces ? Toujours est-il que le félin géant ne semble pas affecter par nos tentatives de le renverser, mieux, nos assauts manqués lui redonnent de la férocité. Et nous n'avons clairement pas besoin de cela à ce moment précis.

Je finis quand même par détourner l'attention du fauve, pour laisser plus de manoeuvres d'action à mon comparse, mais il me parait définitivement frappé par la malchance, ou c'est la bête qui ressent chacun de ses mouvements avant même qu'il ne les produise. Une nouvelle fois, le monstre se dérobe au coup de claymore puissant. Mais même si l'attaque n'a pas porté ses fruits, elle a le mérite de déséquilibrer l'animal à force de le faire tourner en rond entre nous, et je ne sais pas comment ça c'est produit, mais la masse touffue vient s'écraser presqu'à mes pieds.

J'hésite soudainement entre tenter de transpercer une nouvelle fois la gorge de l'animal, ou tenter de la bloquer pour lui éviter de bouger de nouveau, et laisser plus de temps à Saprobion pour l'attaquer par derrière. Après avoir encore essayer d'enfoncer ma lame dans sa chair, je me rends compte que mon épée ne fait que tailler des touffes de poils... J'opte alors pour la seconde solution et plante la pointe de mon bouclier dans le sol, aussitôt je cale mon pied contre celui-ci, et m'appuie de tout mon poids sur mon bouclier pour faire pression sur le flanc de l'animal pour l'immobiliser.

Celui-ci se débat aussitôt sous la pression, mais rien ne bouge. Je ne pense qu'à deux choses à cet instant : maintenir le poids, ne pas glisser dans la vase... Résistant aux essais de la bête pour se redresser, je relève le regard pour accrocher celui du guerrier.

"Je la tiens !! Enfin, pour le moment... A toi de jouer Sapro !"

Pfff comme s'il s'agit d''un jeu ! Ah c'est tellement plus facile de gérer ça tranquillement assis derrière un écran. Et tellement moins dangereux, pour ne pas dire vital... Car oui aujourd'hui, je prends conscience que c'est une question de vie ou de mort pour la première fois depuis l'apocalypse...

Que le diable m'emporte, si nous n'arrivons pas à en venir à bout à nous deux ! J'ai réussi ma manoeuvre, et je tiens maintenant la bestiole à notre merci, enfin je l'ai plaqué au sol avec l'aide de mon large bouclier, et je m'écrase de tout mon poids possible sur celui-ci pour éviter au félin enragé de se redresser. J'y arrive à peu près, en tous cas pour le moment. C'est qu'elle est plutôt coriace, et n'a pas envie de laisser la vie quitter sa si prodigieuse enveloppe.

Je mets à présent toute ma confiance dans mon compagnon d'infortune qui, il faut bien l'admettre, ne semble pas réussir à porter ses coups comme il le voudrait. Hélas il y a des jours avec et des jours sans, comme on dit... J'appuie mon appel de désespoir d'un regard presque suppliant, et le voit prendre son élan et enfoncer son immense épée dans la chair du monstre, qui rugit de douleur. Le sang gicle de la plaie et vient me zébrer le visage d'une longue traînée épaisse, chaude et visqueuse.

Si la bête est blessée, elle n'en a pas encore terminé avec nous, mais je prends ça dans le bon sens. Ca commence à sentir la fin, enfin ! Saprobion écume de colère et pousse un cri de rage tellement fort qu'il couvre presque le mugissement furieux de la panthère. Enfin ça c'est ce que je croyais. Je vais pour l'encourager à enfoncer la lame encore plus loin, quand un violent coup m'envoie valser dans le décor. Sonné je vois le félin dans les airs, et j'écarquille des yeux un peu incrédules.

"Mais c'est pas vrai de voir à ça ! Comment elle a réussi à se libérer cette saleté ?"

Je suis sur mon cul, elle m'a jeté dans la boue avec une telle facilité que je n'arrive toujours pas à comprendre ce qu'il vient de se passer. La seconde suivante, je regrette aussitôt de m'être posée la question.

La pire scène d'horreur imaginable prend vie sous mes yeux encore hagards. La pauvre panthère ne s'est pas libérée toute seule, elle a été littéralement happée par une créature encore plus monstrueuse... Nous ne la chercherons plus, c'est elle qui nous a trouvé. L'hydre est là. Et elle nous fait savoir à quelle sauce elle va nous dévorer. Une gigantesque tête de serpent engloutit la panthère que nous avons eu tant de mal à combattre, et il lui a suffit d'un coup de crocs...

Je n'ai pas la berlue, une autre tête rattachée au même corps fonce sur la première pour arracher une morceau repas encore à vif. Je vous jure que le bruit des os qui craquent à ce moment là, m'a hérissé la colonne vertébrale de mon arrière-train jusqu'au sommet de mon crâne. Je-ne-veux-plus-ja-mais entendre ça de toute ma vie ! je n'ai qu'une envie à ce moment là, c'est de prendre mes jambes à mon cou. Mais qu'est ce qui m'a pris de me fourrer dans ce pétrin ??

Avec des gestes aussi lents que possible, je me redresse, et essaie de me faire tout petit. Je profite que la bicéphale soit occupée à se disputer le cadavre déchiqueté, pour me précipiter derrière un buisson en serrant mon épée et mon bouclier contre moi. Je jette aussi un oeil vers mon camarade, pour vérifier qu'il va bien. Comme moi, il s'est retrouvé projeté dans les airs à plusieurs mètres de là.

Je dégage mon poignet pour pouvoir lui envoyer un message, via notre clavier sous-cutané.

"Ca va rien de cassé ? Je suis planqué derrière les arbres ta gauche si tu peux me rejoindre... Il va falloir qu'on élabore un plan, et un bon !"

Pour le moment, l'hydre n'avait d'yeux que pour le corps sans vie du félin géant qu'elle venait littéralement de démembrer d'avaler en quelques bouchées croustillantes. Ce ne fut qu'une fois son plat terminé qu'elle se rendit compte de la présence du guerrier de fer. Il lui restait bien un peu de place pour un petit dessert, même s'il était encore enfermé dans une boite de conserve.

L'humain n'avait pas l'air de vouloir s'enfuir, bien au contraire, il venait à sa rencontre, bien déterminé à en découdre. Qu'à cela ne tienne, la première tête voulut aller cueillir le fruit qui courait littéralement vers elle. C'était sans compter sur la deuxième tête qui ne voulait pas laisser filer sa part du gâteau. Les trois énormes faciès écailleux se ruèrent donc en même temps, et dans un seul et même élan vers l'humain pataud, et elles se percutèrent lourdement, entraînant avec elle le poids du corps de l'animal qui bascula dans la vase.

Quand le monstre est arrivé et a frappé, j'ai juste eu le temps de de me mettre à l'abri derrière quelques arbrisseaux, afin de me soustraire à sa vue, et surtout pour retrouver un peu de calme et de courage. C'est que... Une hydre, quand on n'a pas l'habitude, ça reste tout de même impressionnant. Je me souviens d'ailleurs m'être fait la réflexion, la première fois que j'en avais croisé une dans le jeu, qu'elle n'étaient pas si terrible que ça. Mais ça c'était avant... Quand j'étais tranquillement installé aux commandes de mon casque virtuel. Aujourd'hui, vu d'ici, le monstre ne ma fait plus du tout la même impression, je la trouve gigantesque, particulièrement agressive, et elle dégage beaucoup plus de puissance que dans mon souvenir.  

C'est pour ça que je suis bien content d'avoir pu me cacher, le temps de reprendre un peu du poil de la bête, et surtout du temps pour réfléchir à la façon dont nous allons devoir nous y prendre. Saprobion a disparu de mon regard. J'espère qu'il est toujours entier, et qu'il a pu trouve de quoi s'abriter lui aussi. A l'aide de mon clavier, je lui ai envoyé un message et attend impatiemment sa réponse, les yeux rivés sur mon avant bras. Les secondes passent et je n'ai toujours aucun  retour, c'est vraiment très très inquiétant. Je commence à craindre le pire...

Mais finalement, j'entends un grondement féroce et des pas précipités qui font "splotch, splotch" Je sors la tête de mon buisson pour apercevoir mon compère s'élancer seul contre le reptile géant, et je ne peux m'empêcher de m'écrier.

"Mais non !!! Qu'est-ce qu'il fout ce fou ?"

Je regarde horrifié Saprobion prendre le monstre de face et seul, et je m'attends à entendre un autre craquement d'os d'ici peu. La chance du terrain pourri étant avec nous pour une fois, l'hydre qui ne s'attendait peut-être pas à trouver des humains en conserve sur son territoire, patauge un peu trop, s'emmêle les têtes et les pattes et finit pas choir dans la vase à son tour. C'est le moment ou jamais ! Suivant l'exemple de mon comparse, je m'extirpe de mon buisson et m'élance à mon tour au contact du monstre à occire, en poussant (ne me demandez pas pourquoi) un cri de guerre.

"RAAAAHHH Je suis LAAAA !"

Je n'ai d'yeux que pour la tête la plus proche de moi, mon esprit est fixé sur mon objectif : trancher la gorge de toutes mes forces, enflammer mon poing et cautériser les chairs avant qu'elles ne repoussent. Je vois déjà ma lame aiguisée s'abattre sur le cou et déchiqueter les écailles et la viande...

C'est sans compter sur un détail qui m'a complètement échappé, et qui me rattrape aussitôt, qui m'arrive droit dessus et que je n'ai pas le temps d'esquiver : l'hydre à une queue. Et elle est presque deux fois plus longue que les cous, et pleine de muscles... Dans la chute du reptile, elle a suivi le mouvement de son gros corps, battant l'air pour tenter de rééquilibrer la bête, et elle m'arrive dessus.

Le choc est monumental. Je me prends une grosse claque qui résonne sur l'acier de mon armure, que je sens tellement trembler que j'ai l'impression qu'elle va se disloquer sur place, et me laisser à poil au milieu du marais. Une douleur vive s'en suit aussitôt au niveau des côtes, me coupant le souffle...

La bête mugit, rugit même, en prise avec les deux bipèdes en armure qui en ont après ses têtes. Alors que sa longue queue parvient à se débarrasser du plus vociférant à grand bruit de boites de conserve que l'on entrechoque, l'autre essayait de lui entailler le même appendice. Mais c'était sans compter que le terrain était favorable à son habitante, la terre gluante et collante ralentissait aussi bien leurs mouvements, que leur vitesse. Et oui, la dame bicéphale était chez elle.

Puisque l'autre deux-jambes semblait vouloir en découdre avec elle, elle reporta son attention sur lui et se retourna dans un mouvement circulaire qui entraîna à nouveau sa longue queue vers Saprobion, le soulevant aussi aisément qu'un fétu de paille, une de ses mâchoires venant claquer juste au-dessus de sa tête. L'élasticité des muscles et de la peau renvoya le géant à la peau foncée dans un fourré, faisant voler son arme un peu plus loin.

Ses deux têtes prenant chacune un des protagonistes pour cible, elle leur rugit à nouveau toute sa rage au visage.

Le terrain ne nous est définitivement pas favorable, et je me sens aussi à mon aise qu'un cachalot échoué sur une plage. C'est dans ces moments là que je regrette de n'avoir pas mis plus de points de compétences en agilité, et d'avoir choisi de jouer un tank en armure complète, plutôt qu'un assassin avec une des atours de cuir.

Je cherche encore mon compagnon d'infortune des yeux, espérant qu'il est encore en un seul morceau, sans parvenir totalement à le localiser. Et alors que je tente une nouvelle fois d'attirer l'attention du monstre, et surtout de permettre à Saprobion de s'approcher au plus près d'elle pour la frapper, Je sens cette gigantesque claque parcourir le métal de mon armure, et se propager douloureusement dans mon corps. La violence du choc est telle que je crois m'évanouir un instant à ma vue qui se trouble et s'assombrit. J'ai le souffle coupé, et éprouve soudainement une grande difficulté à inspirer, d'ailleurs l'air qui a de la peine à entrer dans mes bronches, émet une sorte de sifflement que je n'avais encore jamais entendu, et qui n'est pas naturel j'en suis sûr.

Je me retrouve sur le dos, comme une tortue, et je n'ai même pas la force de de me débattre pour me relever. Je sens de nouveau cette souffrance très vive, et quelque chose de chaud se diffuse au niveau de mes côtes. Serait-ce du sang ?

La bête vient immédiatement me meugler juste au dessus de ma tête, et un long filet de bave puant me tombe sur le visage. Je parviens à secouer assez la tête pour dégager le liquide visqueux, pour apercevoir Sapro un peu plus loin, mais il a l'air en aussi mauvaise posture que moi. Je vais donc devoir ne compter que sur moi-même pour le moment. Dans la confusion de la mêlée, je profite que la bête soit sur Saprobion, pour essayer de rouler en serrant les dents dans le buisson d'où j'étais sorti juste avant. J'essaie de bouger, mais mon flanc me fait atrocement souffrir, j'ai la certitude maintenant que j'ai une ou plusieurs côtes cassées, Sur mon bras la barre de ma vie est descendue de plusieurs crans.

"Et merde... Allez mon vieux Ryan, tu ne vas pas crever comme un clodo dans la bouse quand même ? Relèves toi, du nerf !"

Essayant de tenir le coup encore un peu, je me serre de mes bras pour ramper à l'abri. Je faufile ma main sous le col de ma cuirasse pour tenter d'attraper le cordon que j'ai autour du cou, et surtout atteindre les petites flasques qui contiennent mes potions de santé. Avec énormément de mal, je réussis à extirper mon collier artisanal et débouche un premier flacon que j'avale cul-sec.

La chaleur m'envahit aussitôt et je ressens le bienfait du breuvage me soigner un peu, mais c'est loin d'être suffisant... Je retire le bouchon d'une deuxième flasque et l'ingurgite à la suite. En me demandant si Sapro tient le coup de son côté. Activant ma messagerie à son intention, pour l'informer de mon état.

"Toujours vivant ? Je suis blessé et essaie de me soigner, as-tu des potions en rab au cas où ?"