Une chose est sûre, je ne me serais jamais attendu à croiser un visage familier si loin de Midgard. La jeune femme rencontrées plusieurs fois en donjon, avait l'air d'aller bien, et je me sens soulagée de voir qu'elle a réussi à s'intégrer aux natifs, et à évoluer parmi eux sans peur. J'ai gardé d'elle le souvenir d'une fille assez timide, malgré ce qu'elle essayait de laisser paraître. J'avais appris au cours de nos rencontres qu'elle était militaire de carrière, et que ses moments de détentes, elle les passait sur le MMORPG. J'ai gardé le souvenir d'une fille sérieuse et très investie dans le rôle qui devait être le sien dans les raids ou les donjons, sûrement une déviation professionnelle. Je lui souris en entendant sa réponse.

"Tu te prépares ? A quoi ? Et est ce que ta "préparation" t'autorise à venir boire un verre avec un vieil ami ? A moins que tu ne préfères aller te détendre dans un bon bain ? Bien que je suis pas très sûr qu'hommes et femmes puissent partager les mêmes bassins..."

La cité endroit grouille de monde et si nous voulons pouvoir discuter calmement, mieux vaut s'isoler un peu de la rue. Nous sommes justement devant les bains publics, et j'imagine que comme dans notre réalité, il doit y avoir un atrium juste avant de passer aux vestiaires, où les clients peuvent se faire servir des boissons chaudes ou froides. Je tends ma main ouverte vers l'entrée de l'établissement, pour inviter Elina à me suivre, ou plutôt à me précéder, politesse oblige.

Comme je me le suis imaginé, la partie réservée aux bassins se situe derrière de lourds rideaux de velours pourpre, situés de chaque côté d'un grand comptoir de marbre. En revanche, quelques tables basses et des coussins moelleux posés au sol, invitent à boire un bon thé à la menthe.

J'éclate de rire en l'entendant me parler de la guilde. Je sais qu'elle a toujours été contre malgré une ou deux invitations de ma part. Mais je lui ai toujours dit aussi que je ne lâcherai jamais l'affaire, et tenterai quand ce serait possible, de la recruter. Ca non plus, elle ne l'a pas oublié...

"Oh tu sais, j'ai toujours la même guilde, l'apocalypse ne l'a pas effacé heureusement... Il est vrai qu'avoir un atout comme toi dans nos rangs, ça ne se refuse pas ! Ah si, la chose qui a radicalement changé, c'est que Polar Star est une des six guildes qui réside au Conseil que nous avons instauré pour gérer Midgard. Donc elle fait partie intégrante du gouvernement mis en place là-bas... C'est pour ça que je suis ici d'ailleurs, je suis en mission diplomatique..."

Nous nous rendons jusqu'au comptoir en bavardant, et je m'interromps juste le temps de poser une question à l'employé, vêtu d'une toge de lin blanc, et impeccablement rasé.

"Bonjour monsieur, mon amie et moi aimerions savoir avant de rentrer si les bassins sont mixtes ?"

Je dois bien avouer que la probabilité de retrouver un autre joueur connu, si loin de Midgard où la plupart d'entre nous a été trouvé refuge, doit être infime. Mais je suis bien content d'être tombé sur Elina avec qui j'ai déjà fait plusieurs quêtes. C'est le genre de joueuse méthodique qui suit les instructions à la lettre, pour peu qu'elles soient claires et précises, tout à fait le genre de personne qu'il faut amener en raid. Pourtant, c'est dans un tout autre contexte que nous nous revoyons, et ce n'est pas désagréable du tout, bien au contraire.

En plus de cela, c'est elle qui remet la possibilité de rejoindre la guilde, après avoir déjà refusé mes invitations. J'avais d'ailleurs laissé tomber l'affaire, en étant persuadée qu'elle est ce genre de joueur qui préfère évoluer seule, sans avoir de quelconques obligations. Même si j'ai évité de mettre trop de conditions pour recruter des joueurs chez les Stars, il en faut toujours un minimum, ne serait-ce que pour motiver les membres à interagir entre eux.

Quoiqu'il en soit, nous voilà partis pour découvrir une totale nouveauté pour moi : les bains publics, ou ce que nous appelons dans la vie réelle : les thermes. N'étant pas du tout habitué à ce genre d'endroit, je ne savais même pas qu'il était possible de se baigner tous genres confondus, surtout dans le jeu où les us et coutumes sont plus empruntées du monde médiéval, que du moderne. Nous continuons donc à discuter de l'avenir des aventuriers dans Galathé, tout en entrant dans les bains.

Je prends un des linges que l'on me tend et qui va me permettre d'être dans une tenue adéquate et surtout présentable. Et c'est dans le plus simple appareil, après m'être décrassé de la poussière du désert, l'étoffe savamment nouée autour de ma taille pour ne rien laisser paraître, que je retrouve la belle Elina dans le bassin central. L'eau est délicieusement tiède et j'y rentre très facilement jusque sous la poitrine. Je me demande comment va faire la jeune femme d'ailleurs

"Aaaaah j'avoue que ton idée était lumineuse, ça fait du bien ! Mais tu ne vas pas avoir pied la dedans !" lui dis-je pour la taquiner. "Il va falloir que je te porte !"

Je profite pleinement du moment de détente et vient placer mes bras croisés, juste sur le rebord du bassin, occupant la place à côté de la danseuse. Je la regarde plus longuement, et m'aperçois que dans cette tenue, l'avatar est tout à fait adapté à la professions d'Elina : musclé et fin à la fois. Je me recentre sur nos sujets de conversation laissés en suspension pendant notre entrée dans les bains.

"Pour en revenir à ce qu'on disait tout à l'heure, j'ai retrouvé quelques personnes oui... Surtout des gens de ma guilde en fait... On a réussi à se regrouper à la Tour d'Ivoire, et beaucoup ne veulent même plus en sortir... Je ne peux pas leur en vouloir, et je veux surtout pas les juger. La peur de l'avenir est présente dans chacun de nous. C'est aussi pour ça que nous, dirigeants des plus grandes guildes, nous avons décidé de prendre les choses en main, pour établir un gouvernement provisoire. Tu n'es pas la seule à avoir eu l'air surpris, mais tu dans quelle autre ville que Midgard aurions-nous pu nous installer ? Les autre cités sont déjà régies par des natifs, et pour être honnêtes, tous ne nous apprécient pas tant que cela."

Je re-plonge mes épaules sous l'eau pour récupérer de la chaleur, et en profite même pour faire quelques brasses.

"Au moins sur des ruines, on a tout à reconstruire comme on le veut, et sans déranger les populations déjà en place, puisque la ville était désertée depuis des siècles... Tu vois, on a essayé de penser à tout. Et puis surtout, on essaie de garantir la sécurité de ceux qui nous ont rejoint, car si nous ne le faisons pas, qui les aidera ?... "

Nous nous délassons dans un silence que seules nos voix viennent crever. Heureusement, il n'y a pratiquement personne dans cette partie de l'établissement, les habitants d'Isreth doivent certainement venir plus tard en fin de journée, quand il fait moins chaud. Nous continuons à discuter et à nous taquiner comme deux enfants, et je dois bien avouer que cela me fait un bien fou de laisser toute la pression des dernières semaines s'envoler. Je la vois d'ailleurs se relever à ma dernière petite pique, et aller chercher un siège pour pouvoir maintenir sa tête hors de l'eau.

"C'est astucieux ça ! Même si j'aurai préféré jouer les chevaliers servants pour une fois, moi qui rêvait de te tenir dans mes bras !" lui dis-je en lui rendant son clin d'oeil.

La récréation est de courte durée, et notre discussion revient rapidement sur la situation à Midgard. Je souris intérieurement quand elle évoque la milice pour garantir la sécurité dans la capitale, ainsi que l'obligation de devoir tisser des liens amicaux avec les autres nations. Je la savais très intelligente, fine stratège, et c'est aussi pour cela que je lui avais proposé plusieurs fois de nous rejoindre avant l'apocalypse.

"Ne crois pas que l'on reste dans la tour à attendre que les choses se fassent d'elles-mêmes, c'est tout le contraire justement ! La milice est déjà créée, et c'est même "Polar Star" qui en assure la gérance, nos camarades sont mis à contribution pour organiser les rondes, tenir les remparts et les portes d'accès. Les autres guildes nous prêtent régulièrement leur personnel pour compléter nos effectifs dans ce rôle-là... C'est même une des toutes premières choses qui a été créée."

Je m'étire un peu pour dénouer mes muscles endoloris par les voyages faits récemment. Il n'y a pas à dire, voyager à dos de cheval n'est pas du tout adapté aux gens comme nous, habitués au confort des transports modernes.

"Et pour ce qui est des relations à construire avec les autres nations... Tel que tu me vois, je viens justement rencontrer le pharaon du coin avec qui nous espérons signer un traité de non-agression, et lui proposer un certains nombre d'échanges commerciaux. Et oui, je ne suis pas que chef de guilde tu vois ? Je donne aussi de ma personne en tant que diplomate... Et je me débrouille plutôt bien à ma plus grande surprise. Je me suis déjà rendu en Terres du Lotus, et les négociations sont en très bonne voie pour un autre traité."

Je reprends mon souffle tout en réfléchissant à ce qui reste encore à accomplir à Midgard, c'est à dire tellement de choses ! Le plus urgent maintenant va être d'organiser la politique interne de la cité, même si plusieurs lois ont d'ores et déjà été votées.

"A vrai dire, la reconstruction est plutôt longue à Midgard. Même si nous avons heureusement quelques joueurs dont c'est le métier, les autres avec toute leur bonne volonté ont tout à apprendre dans le domaine de l'artisanat... Moi par exemple, je suis prof de sport IRL. Ben la truelle et le seau de ciment, ce ne sont pas mes éléments de prédilection si tu vois ce que je veux dire... La première fois que je me suis retrouvé avec ça dans les mains, je me suis senti comme un babouin avec une fourchette et un couteau..."

Quoiqu'il n'y paraisse, je suis bien content de revoir une autre connaissance, même si elle n'est pas membre de ma guilde. Et je retrouve avec plaisir les taquineries qui sont les nôtres depuis que nous nous sommes croisés la première fois : il y a des gens comme ça avec qui il se produit un déclic immédiat, et avec qui on se sent bien dès le première rencontre. Hormis le fait que tiens toujours à la persuader de nous rejoindre à Polaris, j'espère aussi qu'elle m'accompagnera pour voir le souverain de ce royaume, et apparemment mes intentions sont clairement faciles à deviner. Je lui rends un grand sourire en croisant les mains derrière ma tête et en lui faisant un clin d'oeil amusé.

"Zut, tu m'as perçu à jour ! Moi qui croyait être fin et délicat pour t'amener à me le proposer par toi-même !.. Je vois que j'ai encore des progrès à faire de ce côté là !"

J'éclate de rire en massant ma nuque, ébouriffant mes cheveux un peu plus, le mouvement de l'eau venant mourir contre les jambes musclées de la demoiselle. J'en profite pour la détailler une nouvelle fois, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle est réellement attirante. Mes joues s'empourprent un peu alors que mon regard traîne encore un peu le long de ses formes, je m'en rends compte et détourne le regard un peu gêné de m'être laissé avoir par ses charmes féminins.

"Tu serais un réel atout pour ma visite diplomatique, c'est certain, d'autant plus que... Je me suis laissé dire que le jeune pharaon était plutôt du genre coureur. Si j'arrive au palais en lui offrant un aussi joli divertissement, plein de grâce et de poésie, cela ne peut que le mettre de bonne humeur pour entamer la discussion sur une traité de paix."

Sans crier gare, je m'approche d'elle, la prend gentiment par la taille pour mieux la soutenir, et la fait descendre de son perchoir pour la plonger dans l'eau, contre mon torse. Je plante alors mon regard de braise au fond de ses yeux, et lui chuchote d'un ton grave, sans ciller.

"Je te le demande, au nom de notre amitié et de nos exploits passés, acceptes-tu de m'aider cette fois encore ? J'ai bien conscience que miser sur ton charme pour l'amadouer est un rien dégradant pour une femme telle que toi, et te remise un peu dans la peau d'un "cadeau désirable", mais je veux vraiment mettre toutes les chances de notre côté pour que le traité soit signé et nous garantisse un peu plus de sécurité. Je te le demande comme un grand service Lina. S'il te plait..."  

Je la tiens toujours serrée contre moi, me rendant un peu plus compte de ma grande taille et de ma force, par rapport à la sienne, car j'ai l'impression d'avoir dans mes bras une poupée qui risque de se casser en morceaux si je l'étreins plus fort. Sans quitter ma position, je nous fais lentement tourner dans l'eau chaude, un peu comme si nous étions pris dans une valse, et continue de me confier un peu à elle. Après tout, si je veux qu'elle accepte de me suivre dans cette mission, et qu'elle finisse par dire oui à ma proposition de rallier la guilde, je me sens le devoir de l'informer de tout ce que je sais sur la situation actuelle.

"Je dois bien avouer que nous manquons de tout et de tous, à Midgard. A l'heure actuelle, je serai bien incapable de te dire de quoi nous aurions besoin en priorité. L'urgence absolue dans tous les cas, c'est de construire un lieu où tous les joueurs perdus dans ce monde puissent trouver un refuge où ils seront en sécurité. Si nous nous sommes faits à l'idée d'être coincés ici sans savoir pourquoi, les PNJ commencent à réaliser que nous ne sommes plus QUE des gens de passage dans leurs vies. Certains voient en nous une nouvelle façon de s'enrichir et nous proposent leurs services pour construire, forger ou cuisiner. Mais je te laisse imaginer ce qu'il en est pour tous ceux que nous avons affronté quand OSO n'était encore pour nous qu'un simple jeu, et qui commencent à comprendre qu'il ne nous suffit plus de nous déconnecter pour sortir de leur univers..."

Je scrute le visage de la jeune femme, à la recherche d'une quelconque émotion, et continue de plus belle, en essayant d'expliquer au mieux ce qui nous attend encore et que nous ne savons pas encore maîtriser.

"Te souviens-tu par exemple des "Catacombes de l'oubli", dans les égouts de Kazel ? Je sais de sources sûres * que les généraux vampires ont quitté la tanière où ils se terraient à la recherche de leur maître... Toutes ces années où nous les aventuriers sommes descendus pour les tuer un a un, juste pour obtenir le succès des Vengeurs de sang, que penses-tu qu'il adviendra si l'un d'entre nous croisons leur route ?..."

Je laisse ma phrase intentionnellement en suspens, pour laisser le temps à Elina de prendre conscience de la chose, et de la lourde tâche que nous nous sommes fixés pour garantir un maximum de sécurité aux joueurs qui affluent de plus en plus, et qui attendent tellement après nous...

Dans la vraie vie, je suis très loin d'avoir l'habitude de draguer les nanas comme ça pour les amadouer, et obtenir ce que je veux. Nous avons aussi ce point commun avec la joueuse d'Elina, avec qui j'avais plusieurs fois été en contact via les réseaux sociaux. Mais je me rends compte depuis que je suis coincé dans le jeu, que ça m'arrive de plus en plus souvent dans la peau du général. Il est vrai qu'il a un charisme que je suis loin d'avoir là aussi dans le monde réel, comme beaucoup de monde ici, on préfère tous jouer avec des personnages beaux à regarder. Est ce que cela se répercute sur moi inconsciemment ? J'ai remarqué également que des pensées m'arrivent qui ne sont pas vraiment les miennes, un peu comme si mon avatar prenait petit à petit le dessus sur ma conscience... Je me fais sûrement des idées, cela parait tellement impossible !

Mon attention se retourne sur la jeune femme que j'ai invité à me rejoindre dans l'eau chaude. Je suis soulagé de voir qu'elle n'a pas tenté de s'y soustraire, me permettant de lui parler plus franchement de détails que je ne veux pas spécialement ébruiter auprès des natifs. En l'ayant tout contre moi, je peux plus facilement parler à voix basse. Contre toute attente, elle accepte également de m'accompagner au palais du pharaon pour lui faire une démonstration de ses talents de danseuse. Sa réponse me fait rire, mais la vision suivante un peu moins : moi et le roi d'Isirys dans le même lit à faire des galipettes, quelle horreur ! Je prends l'ai offusqué et jaloux, et rentre complètement dans son jeu en posant le regard le plus charmeur possible sur mon visage.

"Hey ! J'espère bien que tu n'iras pas plus loin avec lui ! Personne ne touche au corps de ma petite danseuse du désert préférée, à part moi ! Je ne suis pas prêteur en ce qui concerne mes chéries !"

Je lui rends sa langue tirée, et vient coller un baiser sur son front. Tout en continuant à barboter dans les bras l'un de l'autre, je replonge dans mes pensées et mes explications. Il est vrai que certains joueurs avaient réussi à être intégrer à des postes à responsabilités à la suite de certaines quêtes, mais il s'agissait plus de titres honorifiques d'après moi.

"Kelt je l'ai vu connecté, mais cette Sylvidra, je ne crois pas l'avoir vu en ligne depuis que je suis arrivé... En tous cas, elle n'était pas là quand je me suis retrouvé coincé. Comme tout le monde, j'ai vérifié la présence de mes connaissances dès mon arrivée... Mais, ça vaudrait le coup de creuser l'idée, si ils ont toujours leurs entrées privilégiées auprès de la population locale..."

Il faudra que j'essaie de les contacter tous les deux, mais aussi d'autres joueurs qui sont dans la même situation et qui ont gagné des rangs spéciaux de la même façon que ces deux là. Ma reflexion me dirige à nouveau sur la discussion que nous avions juste avant, concernant l'emploi des natifs pour venir grossir nos rangs.

"La populations locale est très demandeuse d'interactions avec nous depuis l'apocalypse, de ce que nous avons pu observer, la plupart se tournent vers nous comme avant, pour rechercher notre protection, Mais depuis quelques mois, les choses évoluent...."

Je marque volontairement un temps d'arrêt en repensant à une altercation, en particulier, entre un natif et un mages de la guilde, qui avait failli mal tourner, juste aux portes de Midgard, et qui a un peu refroidi notre désir de les faire travailler avec nous.

"Nous avons remarqué plusieurs fois que certains voulaient se rapprocher de nous à des fins plus malsaines, comme la vengeance, le vol, et même des tentatives d'assassinat... Une de nos apprenties mages en a malheureusement fait les frais il y a quelques semaines... Alors oui, nous avons cruellement besoin de monde pour défendre Midgard et la reconstruire, mais nous voulons aussi rester prudents, et ne pas faire entrer n'importe qui sous le prétexte que nous ne sommes pas assez... Tu comprends ?"

Je sais bien que cela peut être interprété comme de la méfiance, voir même une sorte de xénophobie, mais nous devons tellement nous montrer prudents car tellement de joueurs comptent sur nous pour leur garantir la sécurité en attendant de pouvoir rentrer chez eux.

"Trop de joueurs comptent sur nous ! Je ne veux pas me permettre de brûler les étapes et faire les mauvais choix, si c'est pour aggraver la situation et mettre d'autres personnes en danger. Au moment où je te parle, nous sommes en train de créer un camp d'entrainement, pour former les natifs à la défense. Et nous permettre de garder un oeil sur eux pour étudier leur comportement. C'est malheureusement la meilleur idée que nous avons eu jusqu'ici pour le moment."

Notre discussion est de plus en plus intéressante, et m'apporte autant de sujets de réflexions que d'interrogations sur le devenir de notre "semi-état". Elina serait incontestablement un atout non négligeable de notre communauté et je vais m'employer encore une fois, à la décider de nous rejoindre. C'est exactement l'endroit où la situation ne peut être qu'à mon avantage pour ce genre challenge, car oui la connaissant un peu, je peux vous dire que c'est exactement ça : un challenge de lui faire accepter un poste chez moi.

Barbotant toujours dans l'eau, je me permets aussi de la taquiner sans aller trop loin, car je connais aussi les limites à ne pas franchir, mais l'occasion est trop belle pour ne pas la saisir. Je sais aussi qu'elle apprécie ce genre de jeu de séduction "je suis le chat et toi la souris", même si il est impensable pour moi d'envisager quoi que ce soit de relationnel ou de physique avec elle. J'ai malheureusement bien d'autres chats à fouetter pour le moment que de m'occuper de ma vie sentimentale dans ce monde ! Et puis, il y a Sarah...

En revanche, tout ce qu'elle me dit en cet instant ne peut que me faire réfléchir, et me met face au mur. Même si j'avais ce pré-sentiment depuis mon arrivée, je ne parvenais pas jusqu'ici à l'expliquer de manière totalement clair, et elle vient juste d'y mettre les mots que je cherchais depuis tout ce temps : nous sommes les intrus ici, et nous devrons absolument garder cela en mémoire, pour toutes les décisions et actes que nous ferons dans ce monde.

"Ma chère Elina, tu viens sans le savoir de me sortir l'épine du pied que j'ai depuis mon réveil ici, et que je ne parvenais pas à énoncer clairement. Tu as parfaitement raison, c'est exactement ça : nous-sommes-les-intrus, et nous devons agir comme tels face aux vrais habitants de ce monde."

J'écoute avec attention ce que je prends comme d'excellents conseils venant de sa part, et son idée de lancer une grande invitation destinée aux joueurs encore perdus, pour qu'ils nous rejoignent à Midgard, doit absolument être creusée. Il est vrai que jusque là j'ai plutôt essayé de ne joindre que les gens que je connaissais, en plus de ceux de la guilde.

J'allais rétorquer quand la suite de son discours me fit dresser une oreille encore plus attentive, en plus de faire apparaître un nouveau et franc sourire sur mon visage. Ai-je bien entendu ? Est-elle en train de me dire qu'elle envisage de jouer un rôle plus important au sein des Polar Stars, que celui de simple consultante ?

"Tu sais à quel point j'ai très envie que tu nous aides dans la tâche qu'on s'est donnée. Nous avons besoin de ton expérience, de ton talent militaire, de ta sagesse... Est ce que tu serais prête à rendre la chose officielle en rejoignant nos rangs ? Elina, veux-tu devenir une des étoiles polaires ?"

Elina finit par se libérer de notre étreinte amicale, et je la regarde s'extirper de l'eau pour s'installer sur le rebord du bassin. Je m'approche d'elle par la droite en restant immergé, m'accrochant au bord à mon tour, en me servant de mes avant bras croisés comme appui. Jusqu'à ce qu'elle me réponde, je ne la quitte pas des yeux. J'attends avec une impatience non dissimulée sa réponse, en priant de ne pas avoir mal interprété ses paroles. Pour parfaire ma demande d'adhésion, je ne peux m'empêcher de lui proposer autre chose qui semble aussi lui tenir à coeur, et pour laquelle je suis sûre qu'elle est la personne qu'il faut pour occuper ce poste.

"Si tu acceptes de m'aider, je te demanderai comme un grand service pour nous tous, que tu prennes l'organisation de la garnison des natifs que nous essayons de former..."

Elina me regarde avec cette sorte d'incertitude dans le regard que je déteste voir chez les gens. Je ne parle pas de son incertitude à elle car elle a l'air de savoir ce qu'elle veut, mais bien de ma propre incertitude sur ses intentions et ses réponses. Comme tout bon mec qui se respecte, comprendre les femmes est un parcours du combattant de tous les instants.

Elle finit par me dire qu'elle veut bien donner un coup de main avec les recrues natives, mais pas en avoir l'entière responsabilité, en me soumettant un point auquel je n'avais pas pensé : ici elle est une artiste, une barde. J'ai toujours cette automatisme de considérer les gens que je croise comme les joueurs de mon monde, et pas toujours le réflexe de me dire qu'ici, ils sont différents, même si leur mental n'a pas changé. Je profite qu'elle place son petit doigt fin sur mes lèvres pour réfléchir à ses dernières paroles.

"Tu as sans doute raison, les natifs ne peuvent se référer qu'à l'avatar qu'ils auront sous les yeux, et le fait que tu sois militaire dans la vie réelle, ils ne le verront pas et ne feront aucune différence... Pour eux tu ne seras sans doute qu'une petite danseuse du ventre un peu plus douée dans le combat que les autres danseuses natives. Va pour la conseillère dans ce cas !"

Je lui adresse un clin d'oeil pour la titiller et l'embêter un peu, ne voulant pas la mettre mal à l'aise avec ce que je viens de lui dire, et pose ma main gentiment sur la peau douce de son mollet, comme si je voulais l'évaluer.

"Il n'y a que moi pour voir le potentiel guerrier de ses jolies gambettes, et pour savoir à quelle redoutable femme ils auront à faire ! Ayez pitié de moi, je viens d'engager un loup pour ma bergerie !"

Je crois que c'est ce que j'apprécie le plus chez cette fille : elle se donne à fond dans tout ce qu'elle entreprend, mais toujours de manière très étudiée, calculée. tout le contraire de moi, qui ait plutôt tendance à foncer et à réfléchir après, même si depuis ma renaissance ici, je fais bien plus attention à ce trait de caractère qui peut beaucoup plus me nuire ici, que sur mon terrain de sports... Nous avons un autre trait de caractère en commun, notre goût de la taquinerie, et elle ne s'en prive jamais avec moi.

Je fais semblant d'être offusqué par ses paroles, et me rapproche d'elle comme un requin vers une baigneuses imprudente.

"Mais mademoiselle, je ne vois pas de quoi vous voulez parler ! Je suis un homme sage moi, et je n'ai pas le temps pour des aventures amoureuses ! Et je ne vois pas non plus quelle maîtresse pourrait être à la hauteur de ma personne !"

Je ne sais pas exactement depuis combien de temps, nous sommes entrés dans les bains publics, et ça n'a pas vraiment d'importance pour moi à cet instant, mais je constate que nous sommes toujours seuls, et qu'aucun autre client ne nous a rejoint depuis que nous somme là Elina et moi. Maintenant que j'y pense, c'est assez bizarre de me retrouver quasiment nu devant une autre femme que ma Sarah, et je réalise soudainement à quel point elle me manque, et combien j'aurais été trop heureux de me retrouver avec elle dans un endroit comme celui-là.

L'eau de ces bains fait un bien fou, et on y prend vite goût, un peu trop peut-être car avec la chaleur et l'humidité, je sens maintenant que ma peau devient plus "flasque", et prend l'aspect ratatinée des vieilles personnes. Malgré mon âge avancée, je fais ce que je peux pour m'éviter cette décrépitude. Aussi je pense qu'il est vraiment temps de sortir de l'eau, et vient naturellement m'asseoir à côté de la belle danseuse. Et bien entendu, je ne peux pas m'empêcher de continuer à la taquiner.

La réalité de nos situations me rattrape alors que je ne m'y attends pas. Et je prends conscience que Sarah me manque de plus sen plus. Même si dans un premier temps, j'ai été soulagé de ne pas la trouver connectée avec mes autres amis prisonniers, je me surprends de plus en plus à regretter qu'elle ne soit pas à mes côtés. Est -ce que les choses auraient été différentes si elle avait été là ? Aurai-je fait d'autres choix ? je ne le crois pas, car je connais sa grande empathie, et je suis même certain qu'elle m'aurait poussé encore plus loin.

Le temps en suspens éclate comme une bulle de savon, et je me réveille de mes pensées par le rire cristallin de ma compagne du jour. Elina prend à nouveau cet air faussement offusqué qui m'amuse à mon tour, et elle me targue d'un "Je ne suis pas à la hauteur de toi ?" auquel je réponds d'un gros éclat de rires. Elle se lève à son tour, certainement flétrie par l'eau elle aussi, et prend la direction des vestiaire en s'éloignant avec une dignité trop prononcée pour être vraie, et en exécutant quelques pas de danse lascive. En la regardant faire, je comprends mieux l'état d'esprit dans lequel les messieurs doivent se trouver, quand ils ont le droit d'avoir la faveur de l'admirer dans son art.

"Tu sais très bien que ce n'est pas ce que j'ai voulu dire !"

Tout en la suivant vers les vestiaires, je prends la pose tel un acteur de tragédies grecques, la main posée sur le coeur, l'autre tendue vers la jeune femme qui me tourne le dos.

"Toi tu es hors catégorie ! Une muse interdite ! Une déesse inaccessible ! Un rêve dont je sais qu'il ne se réalisera jamais ! Dois-je continuer mes éloges ?"

Juste avant de disparaître dans les loges réservées aux femmes, la danseuse se retourne vers moi et m'envoie un clin d'oeil presque aguicheur. Puis elle me plante là en me disant qu'elle me retrouvera après mon entretien avec le prince d'Isirys. C'est donc seul que j'irai à sa rencontre, et c'est peut-être mieux ainsi. Avec du recul, je me dis qu'il sera sûrement plus à même de m'écouter si il n'est pas distrait, surtout que les rumeurs à son sujet le qualifient de grand amateur de femme. j'adresse une dernière courbette à Elina et en profite pour clore nos retrouvailles.

"Qu'il en soit ainsi, j'irai voir le pharaon et te recommanderai à sa cour, après mon entretien privé. Je te ferai un petit résumé de notre discussion, pour que tu puisses l'amadouer sur les points que nous n'aurions pas pu conclure ensemble. En attendant... Essaie d'être sage Elina !" dis-je en riant et en m'engouffrant dans la partie réservée aux hommes.

[HJ :RP TERMINE]