Certes le trou à rats qui lui avait servi de maison durant toute sa vie ne lui manquait pas tant que ça, mais elle revenait régulièrement sur le sol pavé de Kazel, à l'entrée des égouts, ancien fief de son clan. C'était un peu comme si elle se rendait en  pèlerinage, comme un besoin presque viscéral de revenir ici pour se souvenir d'où elle venait, ce qu'elle avait traversé, et ce qu'elle avait vécu. A chacune de ses visites, elle ressentait cette étrange sensation : un sentiment de profonde peine et des souffrances passées, mélangée au bonheur d'être au plus près de ses racines, car après tout, la vampire était née dans un petit village près dici avant de passer de vie à trépas. L'appel de son ancien maître était décidément encore profondément ancré en elle. A quelques centaines de mètres de là, la jeune vampire avait investi dans un recoin de la place du marché, un emplacement laissé vide par les commerçants, car trop à l'écart et perdu entre deux bâtisses qui gardaient l'endroit toujours à l'ombre. C'était un petit carré d'herbe, juste assez grand pour y installer sa roulotte, la remorque, et laissé à Poudreuse un peu de liberté avec quelques touffes d'herbe à mâchouiller. C'était son petit coin de paradis, idéalement situé au milieu de la ville, offrant des proies faciles à trouver et à attirer. Carmen et son esclave, passèrent le petit portillon et commencèrent à s'installer, pendant que Poudreuses débarrassée de son harnachement se précipitait déjà vers les pousses les plus tendres. Le soleil venait tout juste de poindre le bout de son nez, et la jeune vampire sentait déjà sa chaleur dans l'air. Elle grimaça et adressa ses ordres au jeune Callum. "Termines de tout installer et quand tu auras fini, occupes-toi de ça." Carmen désigna du doigts, un tas d'immondices abandonnés là par les habitants. Malheureusement quand la roulotte n'était pas là, et personne pour prendre soin du terrain, la nature reprenait ses droits, et se remplissait de friches, ce qui attirait aussitôt les déchets du voisinage. La jeune vampire se précipita à l'intérieur de sa roulotte pour se laver, et surtout se badigeonner d'onguent d'ombre. Lorsqu'elle fut prête pour affronter le soleil matinal, elle enfila une tenue légère et jetta sur ses épaules une longue cape à large capuche pour la garder bien à l'ombre. Elle ressortit au bout de 30 minutes et lança au jeune homme affairé à arracher quelques plantes épineuses. "Ne les jette pas, Poudreuse raffole de ses épines, j'ai des courses à faire. Toi ne traîne pas. Et n'oublies-pas d'aller tirer de l'eau pour remplir le réservoir." La vampire se mit en route aussitôt, profitant du peu de monde dans les rues à cette heure très matinale. Elle fit une première halte à la boulangerie pour acheter une grosses miche craquante. Puis elle se dirigea vers l'apothicaire pour refaire son stock d'onguent. Un cri attira son attention dans la ruelle d'à côté, tous ses sens en alerte, elle s'approcha furtivement de la source de tout bruit. Elle pensait être seule à errer à cette heure si matinale, mais ce n'était pas le cas...

La journée s'annonçait ensoleillée et resplendissante, pour son plus grand inconfort. Heureusement qu'il y avait cet onguent aux propriétés magiques, et qui était devenu son indispensable secret de beauté, et de longévité. C'était d'ailleurs pour lui qu'elle devait impérativement sortir ce matin. C'était fou de voir la vitesse à laquelle son stock s'épuisait. Le marché de Kazel comptait l'un des meilleurs apothicaires du royaume, et la jeune vampire avait gagné sa carte de fidélité depuis longtemps, surtout depuis qu'elle l'avait débarrassé d'une maîtresse, un peu trop envahissante... La créature nocturne sortait tout juste de la boulangerie, quand elle entendit des cris venant de l'autre côté de l'échoppe. Elle allait passer son chemin, quand elle se ravisa et prise par la curiosité, elle s'approcha le plus discrètement possible du remue-ménage matinal. Il y avait là 3 humains à l'air pas très arrangeant, agglutinés autour d'une jeune fille, terrorisée par la présence intimidante des gaillards. Carmen resta quelques secondes encore dans l'ombre, à l'affût du moindre mouvement ou bruit suspect, hésitante même à se mêler de l'affaire en cours. Mais lorsqu'elle vit un petit peu mieux la victime, elle n'eut plus qu'une idée en tête : savoir ce qu'elle était. Carmen avait déjà rencontré d'autres anomalies, mais jamais encore une comme celle-ci. Elle fut sortie de sa pensée, au moment où les assaillants attrapèrent la fille aux cheveux roses et bleus par les poignets, prêts à la violenter. "Donnes ton or et tes bijoux, Vermine !" Posant avec délicatesse son gros pain sur une marche d'un escalier, Carmen cacha son visage sous son capuchon, puis la vampire se glissa jusqu'au lieu de drame furtivement, en rasant les murs et en se fondant dans l'ombre, tous les sens en alerte. Comme sortie du néant, elle se matérialisa presque, juste derrière le plus gros et le plus éloigné des assaillants, se servant de sa souplesse de prédateur pour le saisir par les épaules, dégagea la nuque d'un geste rapide, et planta ses crocs acérés dans le cou, juste au-dessus de la veine gonflée de sang. Excitée et enivrée par le goût du sang, les yeux rougis par son instinct de buveuse assoiffée, elle dut faire un effort phénoménale pour ne pas le vider de son jus, ici, maintenant dans le fond de cette ruelle. "Tu bouges, tu frémis, tu es mort..." souffla t-elle à voix basse à sa victime. Les yeux injectés, brillants de colère et d'envie, se tournèrent vers les 2 autres bandits et elle leur dit d'une voix déterminée, bien que légèrement déformée par son irrépressible envie de tuer. "Lâchez là, ne criez pas, partez tout de suite sans faire d'histoire et ne vous retournez pas où je l'exécute sur le champ." Elle désigna d'un mouvement de tête le bout de la ruelle, comme pour les inciter à déguerpir au plus vite par le chemin qu'elle avait décidé pour eux. Elle resserra un peu plus sa prise sur le troisième larron, le maintenant fermement contre elle, et enfonçant un peu plus ses canines dans la peau grasse, qui était loin d'être au goût de son palais délicat. Un petit filet de liquide rouge et visqueux s'échappait de la bouche vampirique, et coulait maintenant dans le cou du casse-croûte. "Dis à tes petits copains de faire ce que je dis, ou dis leur adieu..." Elle guettait le moindre mouvement de tête, de regard, des autres voleurs, prête à passer à l'action au moindre geste suspect. Elle s'adressa alors à la jeune anomalie, tout en poussant son otage vers le groupe. "Jeune fille ? Tu n'as rien ? Tu peux venir derrière moi ?"