Le sorcier revenait à peine de plusieurs longs jours de voyage pour récupérer un ingrédient essentiel à la confection d'une potion extrêmement rare, et délicate. Même pas une heure était passé depuis son arrivée, lui laissant juste le temps d'un bain frais pour se détendre et se laver de la poussière de la route. A peine avait-il posé un pied dans le palais, qu'un serviteur venait lui apporter une invitation à rejoindre le jeune souverain pour une entrevue protocolaire. Il devait être à l'heure du thé, sous la pergola princière du jardin privé du pharaon.

Après son bain qu'il aurait voulu plus long, Mercutio revêtit un sarouel et une chemise de soie bleue brodée d'or, une robe du désert plus foncée, et une coiffe pour prévenir les brûlures du soleil. Il ajusta une double ceinture de cuir rouge et brune, pour soutenir ses armes de noblesses, et enfila des chaussures légères. Après une dernier coup d'oeil dans son miroir, le démon sortit de ses appartements et entama la longue ascension qui allait le conduire dans les derniers étages, les quartiers privés de la famille royale.

Il pesta contre le nouvel effort que lui demandait cette entrevue, lui qui était déjà épuisé par son voyage d'affaires. Mais il dut faire comme si rien ne le perturbait, le jeune prince n'attendait pas, et il fallait à tout prix que son conseiller soit à l'heure.

Les portes des appartements du prince s'ouvrirent sur une ribambelle d'esclaves à son service, dont une charmante jeune femme à la peau très claire, très légèrement vêtue, qui s'inclina devant le ministre et l'invita à la suivre. De nouvelles portes s'ouvrirent sur la terrasse paysagée du dernier étage, et la servante mena Mercutio jusqu'à une pergola ombragée de longs voiles blancs. Elle montra une pile de coussins moelleux à même le sol, où le jeune homme prit place aussitôt. Une table ronde de marbre blanc, débordait déjà de fruits et de pâtisseries alléchantes.

"Seigneur Mercutio, son altesse divine m'a mis à votre service, le temps de votre entrevue. Je me nomme Léveyn, ordonnez, et j'obéirai."

"Merci, je n'ai besoin de rien pour le moment."

Elle s'inclina de nouveau, et passa dans le dos du jeune homme en attrapant une volumineuse branche de palme, et se mit à l'agiter doucement. Aussitôt un petit courant d'air très agréable lui parvint. L'attente fut de courte durée, le jeune prince arriva. Son ministre se redressa aussitôt pour un salut incliné poli.

[HJ : Ma tenue]

Spoiler:

S'il y avait bien une chose à laquelle ne dérogeait presque jamais le jeune souverain, c'était bien l'heure du thé, accompagnée de toutes les douceurs aux parfums de son cher pays. A part s'il était en voyage, ou en pleine bataille, rien ne pouvait le soustraire à cette collation tant appréciée du jeune prince. C'était aussi dans ces moments là qu'il aimait rencontrer ses ministres en tête à tête, non pas pour discuter de politique ou des mesures à prendre pour diriger le royaume, mais pour des discussions plus privées. Ânhktefy considérait en effet que pour entretenir une confiance durable entre lui et ses ministres, il fallait aussi qu'ils aient des activités privilégiées, laissant plus de place à la confidence. Et c'était précisément ce qu'il avait prévu aujourd'hui avec l'un des plus importants conseillers du gouvernement.

Dès qu'il avait su que le sorcier nécromancien était revenu de son long voyage à l'étranger, le pharaon lui avait envoyé un messager pour l'inviter à le rejoindre à l'heure du thé, dans ses jardins privés. Après son deuxième bain de la journée parfumé à la fleur de bougainviller, le jeune prince se fit vêtir d'un simple sarong court de lin blanc, sous son torse nu. On lui fixa un lourd collier d'or incrusté de turquoises précieuses, des bracelets assortis aux deux bras, et d'un nemès court sur la tête. Il chaussa ensuite les sandales qu'on lui présenta. Une fois habillé Ânhk sortit de ses appartements escorté de deux gardes, puis de trois musiciens et trois danseuses.

D'un pas décidé, il entra dans la chaleur d'Isirys, protégé du soleil par deux esclaves portant à bout de bras des parasols. Un troisième garde accompagné d'une sorte de fennec à la fourrure blanche les rejoignit, restant légèrement en arrière. Les serviteurs se mirent tous en mouvement en même temps, servant le thé et remplissant les petites coupelles de douceurs sucrées, avant même que le prince eut le temps de s'installer. Les artistes eux aussi se mirent en place et entamèrent leur musique et leurs danses.

Ânhk posa un sourire radieux sur son visage en voyant son ministre le saluer humblement, puis il prit place sur les coussins moelleux, faisant signe à Mercutio de se relever.

"Ministre Mercutio, mon ami relèves-toi. J'avais hâte de t'entendre me raconter ton périple. Ce nouveau voyage a t-il été prolifique ? Racontes-moi tout, je veux tous les détails... Ton but était de réaliser une ancienne potion, faite à base d'ingrédients rares je crois. As-tu pu trouver ce que tu cherchais ?"

Le jeune pharaon désigna quelques pâtisseries et fruits que son estomac réclamait, et une jeune esclave s'empressa de les servir dans un large plat. Aussitôt le fennec fut lâché, s'approcha du plat et le renifla à peine quelques secondes, avant de retourner se coucher au pied de son maître.

"Il est l'heure de manger, prends ce qu'il te fait envie mon cher conseiller !"

Ce n'était pas tant la chaleur du soleil brulant du désert, que l'épuisement des derniers jours passés à cheval, qui plongeait le ministre dans cette lassitude. Le démon s'accommodait parfaitement de tous les types de climats que pouvait offrir ce monde, mais le manque de confort des longs voyages mettait sa patience à rude épreuve. Si il s'était agi de n'importe qui d'autre, Mercutio aurait renvoyé le messager pour décliner l'invitation, mais il ne pouvait pas refuser une entrevue privée avec le prince.

Après un bain qui l'avait partiellement détendu, le nécromancien rejoignit donc son souverain sur les hauteurs du palais, dans ses jardins privés. Il s'était vu octroyer la compagnie d'une jeune esclave qui devait satisfaire tous ses moindres désirs. Mercutio connaissait bien la nature humaine pour en avoir plusieurs fois abusé, et il savait bien qu'un autre que lui, n'aurait pas manqué de jouir de son statut, pour profiter physiquement de la très attirante servante. Elle fut la première étonnée, et visiblement soulagée d'ailleurs, quand le ministre lui répondit seulement qu'il n'avait besoin de rien.

L'attente fut courte, et le futur pharaon finit par faire son apparition, accompagné d'une nouvelle légion d'esclaves et de musiciens. Mercutio le salua longuement, l'échine courbée comme elle devait l'être, jusqu'à ce que le souverain lui dise de se relever en souriant. Il s'exécuta, et en profita pour retirer sa coiffe, la pliant soigneusement pour la poser à côté de lui. 

"La joie de nous revoir est partagée votre Altesse, et je me réjouis d'autant plus que vous avez l'air en pleine forme. Il me semble que vous avez encore gagné en force et en maturité. Votre couronnement n'est plus qu'une question de mois et je remarque de plus en plus que vous avez l'étoffe d'un grand pharaon, celui que nous attendons tous depuis des siècles."

Il se fit servir aussitôt des gourmandises, qu'un petit animal vint brièvement renifler, sûrement pour déceler un quelconque poison. Mais il disparut presque aussitôt, laissant les humains à leur repas.

Mercutio n'avait pas très faim, mais il dut encore une fois faire l'effort d'accompagner le goûter du prince. Il se contenta donc d'un peu de thé à la menthe, de quelques figues, dattes séchées, et d'une petite brioche au miel. Il se cala à nouveau au creux des coussins moelleux et prit une petite gorgée de thé brulant, tout en regardant les ondulations des jeunes danseuses en mouvement. Le prince voulait entendre le récit de son voyage ? Mais Mercutio n'avait pas l'intention d'ne dire de trop. Il afficha un sourire amusé et se permit une plaisanterie qui ne manquait pas de faire savoir au jeune homme, qu'il y avait des choses qu'il tairait.

"Il est des choses de sorciers, qui doivent rester aux sorciers Votre Altesse, et je ne voudrai pas vous ennuyer avec des détails ou langage que vous ne comprendriez pas... Cela demande des années d'études et d'expériences pour soutenir une conversation de mages. Mais je peux vous raconter les étapes de mon voyages, et quelques rencontres que j'ai faites, si vous le souhaitez."

Mercutio croqua dans la brioche recouverte de miel cristallisé, et but une nouvelle gorgée de thé. Le mélange des deux emplissait sa bouche de ces saveurs du désert qui lui avaient manqué.

Gourmand comme il l'avait toujours été, le pharaon ne résista pas plus longtemps à lancer son dévolu sur le festin. Les pâtisseries avaient toujours été son péché mignon, et il se fit servir une grande assiette remplie de celles qui avaient ses préférences, tant qu'il y avait beaucoup de sucre, de miel, et de confiture. A peine servi, Bianca la flaireuse vint renifler les douceurs et repartit aussitôt s'endormir aux pieds de son gardien.

Une fois son assiette copieusement garnie, il se mit à engloutir les gâteaux avec délectation, pendant que l'on servait son ministre. Comme à son habitude, Mercutio ne choisit que quelques fruits secs, une brioche et du thé. D'aussi loin que le souverain s'en souvenait, son ministre de la magie, avait toujours eu un appétit d'oiseau. Ânhk le regarda grignoter les fruits avec un sourire amusé, en se demandant comment cet homme avec autant de pouvoir, arrivait à tenir debout en avalant que des miettes.

"A ce que je vois, mon ministre est toujours aussi soucieux de sa santé, et veille scrupuleusement à ne pas prendre un peu de gras ! Tu devrais te lâcher un peu et profiter des bonnes choses de la vie, ou tu vas dépérir !"

Le jeune homme se cala un peu plus profondément dans les coussins moelleux, et hocha la tête en direction des deux esclaves éventeurs, pour qu'ils augmentent la cadence. Puis, il prit à son tour une grande gorgée de thé qu'on avait mis à refroidir pour lui. Ainsi installé, il était prêt à entendre le récit des voyages de son ministre. Et il lui tardait surtout qu'il lui raconte la vie et les coutumes des autres pays. En tant que futur souverain, il n'avait pas encore eu l'occasion de voyager en dehors d'Isirys. Il lui tardait de pouvoir enfin le faire, pour des visites officielles ou pourquoi pas des conquêtes futures.

"J'ai de grandes ambitions pour Isirys, et j'ai grand hâte de me mettre au travail... Et de découvrir le monde comme toi. En attendant mon avènement, je me contente d'écouter tes exploits, et j'attends tes retours de voyages avec impatience, tu le sais bien."

Ânhk frappa deux fois dans ses mains, donnant ordre aux musiciens de baisser la puissance de leurs instruments, et surtout de faire taire les percussions. Il secoua légèrement la tête en signe de négation, en murmurant plusieurs claquement de langue. Puis, il se laissa tomber en arrière, les yeux mi-clos.

"Gardes ta magie pour toi mon cher ami. Tes recherches me fascinent toujours, surtout quand je sais qu'elles pourront un jour servir à ma grandeur, et à l'expansion de notre pays, mais pour aujourd'hui, je me contenterai de tes aventures si tu veux bien... Fais moi rêver."

Ce qu'il pouvait détester Les mondanités et les réunions ! Malheureusement son rôle de ministre, et conseiller magique du pharaon, l'obligeait à subir toutes les interminables blablateries qui ne menaient souvent à rien, et donnaient lieu à des dialogues stériles. Il était rare que les ministres entre eux arrivent à trouver des terrains d'entente. Et bien souvent, Ânhktefy finissait par trancher et imposer ses choix. Des choix vers lesquels le démon l'orientait sans le monter, à force d'user subtilement de dissuasion. Là au moins, les choses avançaient dans le sens où Mercutio souhaitaient qu'elles aillent.

Depuis son arrivée, il avait fait en sorte de devenir le ministre "chouchou" du jeune monarque, le couvrant de cadeau, lui apportant sans arrêt des preuves qu'il était un homme de confiance. Mais en vérité, il avait trouvé comment amadouer le jeune homme, pour s'en faire un ami, devenir son confident, et balayer de plus en plus l'influence des autres membres de son gouvernement. Bientôt, Ânhktefy ne jurerait plus que par lui. Mercutio courbait donc l'échine avec patience et talent, jouait au bon serviteur de son maître. Mais il savait très bien que le maître n'était pas celui des deux que tout le monde croyait.

Cette fois encore, il venait de rejoindre le pharaon pour un énième de ces moments privilégiés que le jeune roi n'accordait pas si facilement. Attablés autour de mets de choix, comme à leur habitude, Mercutio ne dérogea pas à la règle, et ne choisit que de quoi faire un encas frugal. Il sourit à la remarque du souverain, sur son appétit d'oiseau, et se permit même une petite familiarité.

"Un sage m'a dit un jour que pour réussir, il fallait un esprit sain dans un corps sain. J'essaye de mettre en pratique cette doctrine qui me convient parfaitement, car je n'ai jamais été un gros mangeur"

Dans la vraie vie, Mercutio était plutôt gourmand, mais ici, les démons n'avaient pas besoin de manger, et ils ne le faisaient qu'en présence des autres créatures, pour passer inaperçus et se mêler plus facilement au peuple.

"Et puis... Je n'aimerai pas vous retirer toutes ses gourmandise de la bouche ! Vous avez l'appétit qui convient pour nous deux, Ô mon roi."

Le jeune nécromancien regarda le monarque rire aux éclats, avant de s'enfoncer dans les coussins moelleux. Il attendait les récits de son voyage, et ile ne cachait même pas son impatience. Il ne faisait aucun doute qu'une fois couronné, le jeune prince Isiryen ne resterait plus enfermé dans la sécurité de son palais : il avait soif d'aventures. Et Mercutio était quasiment sûr que l'une d'elles, lui apporterait l'opportunité d'enfin posséder l'âme du roi.

"Mon voyage a débuté dans le territoire des elfes, dans la profondeur de leur forêt millénaire..."

Mercutio commença son récit par son arrivée au sanctuaire des elfes, et lui raconta comment il passa la première nuit dans une auberge elfique, nichée dans un tilleul géant, dont le tronc avait au moins la superficie de 4 fois la terrasse où ils se trouvaient aujourd'hui. Il raconta la méfiance des elfes envers les étrangers, et comment il dut même se cacher sous une cape, pour échapper à leurs regards insistants et parfois dédaigneux. Il poursuivit par la splendeur de la Forêt Sanctuaire, où le ciel ne perçait jamais le feuillage dense, mais qui était constamment baignée de lumière éclatante. Le démon lui raconta aussi son incroyable rencontre avec un arbre peuplé de fées et de sylvains, qui l'avaient chassé de leur territoire.

"Ils m'assaillaient de toutes parts, me piquant à l'aide de dards, de minuscules flèches crantées qui restent plantées dans la chair et font un mal de chien ! J'avais l'impression d'être pourchassé par une ruche entière de guèpes ! Je n'ai trouvé le salut qu'en sautant dans une mare qui se trouvait là, et suis resté caché presque une heure sous des nénuphars."

Le ministre avala une nouvelle gorgée de thé pour reprendre son souffle et hydrater sa gorge, avant de reprendre de plus belle le récit, n'hésitant pas à mimer certaines scènes pour la rendre plus réaliste. Bien sûr, tout ne s'était pas exactement passé comme cela, et il enjolivait un peu les choses pour exciter la curiosité du prince.

Bien installé au fond de ses coussin, le jeune prince était fin prêt à entendre une partie des aventures de son ministre. Il avait l'estomac bien rempli, une couche confortable pour l'aider à digérer et à prendre ses aises. D'ailleurs Mercutio ne se priva pas pour lui faire remarquer sa légendaire gourmandise, une fois de plus. Venant d'un autre que lui, Ânhk aurait sûrement fait punir l'impudent qui osait l'insulter, mais il considérait Mercutio comme un ami, peut-être même le seul en qui il avait une confiance quasi absolue.

Le souverain éclata d'un rire franc et s'enfonça encore plus dans les coussins, une jambe pliée, par dessus l'autre. Il ne lui manquait plus que la douce fourrure de son flaireur pour qu'il soit parfaitement décontracté. Il adressa un signe de tête à son garde du corps, qui retira la laisse la petite créature toute blanche.

"C'est pour cela que j'adore prendre mes repas avec toi, je suis sûr de ne jamais manquer les meilleurs morceaux." Il se tourna vers son familier, et l'appela d'une tape sur la cuisse. "Allez viens White, c'est l'heure du câlin."

Aussitôt libre, le flaireur rejoignit son maître en quelques bonds, en poussant des petits cris semblables à des gloussements gutturaux. Puis il vint se lover dans le creux formé par les deux jambes du pharaon, donna un petit coup de tête joyeux contre sa main. Il n'en fallait pas plus pour comprendre qu'il réclamait des caresses. Les longs doigts du prince s'enfoncèrent aussitôt dans les poils de la fourrure. Maintenant, il était paré et tout ouïe pour écouter le récit de Mercutio.

Le voyage commençait bien, et Ânhk remarqua qu'une fois de plus, son ministre savait comment rendre ses récits encore plus intéressants, ne manquant pas de l'agrémenter de détails croustillants. Le futur pharaon écarquilla les yeux en entendant la description de cet arbre transformé en auberge. Comment un arbre si gigantesque, creusé par la main de l'homme pouvait encore pousser et rester vivant ? Bien sûr, Isirys détenait aussi un arbre géant, mais celui-ci ne subissait aucune transformation, il était donc normal qu'il poursuive sa croissance.

La suite des ses aventures amusa beaucoup le jeune prince. Il s'imaginait son ministre fuyant devant des créatures minuscules qui l'attaquaient avec des cures-dents. Il ne put s'empêcher de rire à nouveau, s'imaginant cette fois Mercutio transformé en grenouille, un nénuphar sur la tête.

"Tu te paies ma tête pas vrai ? Un mage tel que toi ne doit avoir aucun mal, à repousser ce petit peuple d'elfes miniatures. Je t'ai déjà vu à l'oeuvre, ça ne te ressemble pas de fuir devant plus faible que toi !"

Il fit comme s'il mimait un des sorts qu'il avait vu lancer par son ministre, en reproduisant un grand geste de la main, et dessina une flamme du bout de son doigt.

"Tu sais bien ? Ton sortilège de feu..."